J’ai cueilli trois livres au hasard, dans ma bibliothèque. Et je les ai ouverts sans choisir une page précise. Chacun de ces auteurs a une façon bien à lui d’écrire, une signature reconnaissable pour le lecteur qui l’apprécie.
« Une voix connue chanta À la claire fontaine.
- C’est la mésange, dit le chevreuil.
- On dirait qu’elle pleure. Où est-elle?
- Elle a abandonné la vallée des Quenouilles, elle aussi. Tiens, je la vois. »
Le hamac dans les voiles, Félix Leclerc, p.96
« Et nous en venons à notre second point: nous pouvons mettre en corrélation les dates d’arrivée des humains sur une terre nouvelle et l’élimination de très nombreuses espèces attestée par les ossements ou autres traces qu’elles ont laissées. »
Là où croît le péril… croît aussi ce qui sauve, Hubert Reeves, p.78
« Le vent souffla avec rage toute la journée du lendemain, puis se calma pendant la nuit et, au matin, tout était redevenu calme et clair. À l’est, les nuages teintés de pourpre et d’or annonçaient le lever du soleil. »
Chroniques d’Avonlea, Lucy Maud Montgomery, p.532
Ce style se définit par les thèmes qu’ils affectionnent (Félix Leclerc et les animaux, Hubert Reeves et l’environnement, Lucy Maud Montgomery et les paysages), par la manière de faire les phrases (dialogues, compte rendu, poétique) et par les émotions qu’il suscite. L’auteur qui tente d’en copier un autre ne fera qu’un livre fade et sans vie. C’est comme si on essayait de prendre la personnalité de quelqu’un qu’on aime!
Les frénésies d’écriture me font beaucoup réfléchir à ce qui fait « mon » style. Plus j’écris, plus j’arrive à le cerner. Et étonnamment, ce qu’on découvre ne nous fait pas toujours plaisir. Il faut apprendre à s’accepter, de la même manière qu’on doit vivre avec le corps dans lequel on est né. Pas toujours facile, n’est-ce pas?
Faisons des liens: si j’écris les scènes les plus intenses au début (que ce soit au niveau du drame ou de la joie, ce sont toujours celles qui m’arrivent en premier), c’est parce que l’intensité est l’un des critères de mes récits. Je m’intéresse aux moments où tout est bouleversé, où tout change. Un personnage en pleine mutation: c’est intense comme je les aime!
Conséquence: j’écris des textes relativement concis. Parce qu’on ne peut pas raconter l’intensité pendant 1000 pages, ce serait épuisant pour le personnage, et pour le lecteur. Alors quand la mutation est finie, quand le gros dérangement est vécu, je laisse généralement mes personnages vivre leur vie. Et j’arrête d’écrire.
Et l’intensité, c’est souvent relié aux émotions. Ça m'a d'ailleurs troublée quand j'ai relu mon dernier texte: une saga d’inspiration japonaise, dans un monde magique. Généralement, les récits de fantasy sont des récits d'aventures dans lequel l'amour vient parfois s'insérer, mais ça reste un peu secondaire. Alors que pour moi, l'émotion est le véritable moteur d'une histoire. Que ce soit l'amour, la vengeance, la peur ou le désir: ce sont les sentiments qui font agir mes personnages... pour le pire et le meilleur. Je décris donc amplement les raisonnements que se fait le personnage lorsqu’il justifie telle ou telle action.
Ne le cachons pas: les femmes de mes récits ne sont pas des princesses qui s’intéressent à leur manucure et à leur énième paire de chaussures. Elles osent briser des tabous, plonger dans la laideur et n’ont rien de politiquement correctes! Vive l’imprévisible! Ce qui leur amène des compagnons intéressants: ils doivent nécessairement être très forts pour être à la hauteur de telles demoiselles! En voulez-vous de l’intensité!
Finalement, j’écris de façon « graphique ». Dans le billet précédent, je raconte comment je vois les scènes dans ma tête. C’est ainsi que j’écris: je transmets ce que je vois. Ce sont des dialogues, des paysages, des expressions. C’est la description bien précise d’un coup de pied manqué ou d’un premier soin pour que le lecteur voie la scène, tout autant que moi.
Ce style de récit très graphique rappelle un peu les mangas. Au Japon, on appelle ce type d’écriture des light novels et c’est très populaire auprès des adultes et des adolescents. Un illustrateur ajoute même quelques images (d'inspiration manga) au texte, ce que j’ai aussi tendance à faire lorsque je soumets mes manuscrits.
Résultat: peu importe le récit ou l’âge de mes personnages, je me fais dire que j’écris de la littérature jeunesse. Alors que je n’en avais pas l’intention, puisque je ne pense pas à un public précis quand je compose. J’écris pour quelqu’un comme moi, une personne qui aimerait lire une telle histoire. Donc à un adulte de mon âge peut-être (34 ans), ce qui commence à s’éloigner du monde des adolescents, je dois l’avouer.
J’ai l’impression que même si j’insérais des scènes sanglantes ou érotiques dans une de mes histoires, on me dirait encore que c’est de la littérature jeunesse. À cause du style d’écriture.
Il y en a qui sont pognés avec des faces de bébé toute leur vie, ce qui nuit à leur crédibilité quand vient de le temps de rencontrer un employeur très sérieux… Moi je me retrouve à avoir un style qui chevauche deux âges au Japon, mais qui n’a pas vraiment d’équivalent en français. Alors si mon dernier texte a la chance d’être publié un jour, et même si j’ai l’impression qu’il s’adresse aux adultes, ne vous surprenez pas si vous le trouvez dans la section jeunesse!
Ce qui veut dire qu'il ne faut pas hésiter à lire La Pomme de Justine malgré l’étiquette 14 ans et plus parce que c’est pas mal plus une histoire pour tous. On aurait dû écrire : À partir de 14 ans…jusqu’à 114 ans! :)
2 commentaires:
Ben je crois que tu écris du "Young Adult", tout simplement.
Mais si tu veux un truc pour t'affranchir un peu de cette étiquette : ne met pas d'illustrations dans ton manuscrit.
Parce qu'ici, dessin = pour enfant.
Comme la BD finalement a longtemps été associée à cette idée. Et je crois qu'elle l'est encore, même ça a changé un peu.
Ne t'inquiète pas: j'envoie le manuscrit aux éditeurs sans les images! :)
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