30 septembre 2019

Décrochage des garçons: des activités selon le sexe? Si c’était si facile…

La semaine dernière, une école de Gatineau a dévoilé que les garçons et les filles de 5e année avaient été mis dans des classes séparées. Ce n’est pas un phénomène nouveau de séparer les genres et ce n’est pas ce qui a soulevé le plus de critiques.

Ce qui a mis le feu aux poudres du net, c’est plutôt le fait que les garçons et les filles n’avaient pas les mêmes activités. Aux gars, on parlait de robotique et de techno; aux filles de littérature et de jardinage. Des idées qui semblent venir tout droit d’une autre époque.

Par hasard, la semaine dernière, c’était aussi la sortie du livre très émouvant de François Cardinal qui dévoile avoir eu bien du mal à l’école parce que celle-ci était mal adaptée à ses intérêts, à sa façon d’apprendre. Ne suffisait qu’un petit pas de plus pour qu’on comprenne que l’école québécoise est adaptée aux filles et à leur tempérament calme et réfléchi, ce qu’a fait M. Cardinal à Pénélope et le chroniqueur Patrick Lagacé. Ce dernier reproche à tous les « hyper-progressistes » de porter peu d’attention au décrochage des garçons.

Quand je me suis indignée de cette nouvelle, je ne me suis jamais considérée comme « hyper-progressiste ». Je me suis juste dit que je n’aurais jamais eu le choix que j’ai eu.

En 5e année, je gagnais des concours de maths, j’aurais probablement été fan de robotique si ça avait existé (j’ai après tout fait un peu de programmation plus tard). Mais j’étais aussi typiquement attirée par la lecture. J’étais donc une fille qui a suivi un parcours science jusqu’à la fin du secondaire, hésitant entre les possibilités: des intérêts plus « garçon » et d’autres plus « fille ». On aurait fait quoi avec moi?

Je n’étais pas un cancre, alors on me répliquera que l’école était faite pour moi, jeune fille en plein épanouissement. À Gatineau, j’aurais juste appris plus tôt que mon étiquette « fille » me prédisposait à la littérature.

Mais des gars qui détestent l’éducation physique, j’en ai connu. Des gars qui aiment lire, mais qui ne veulent pas se faire traiter de moumounes parce que c’est l’étiquette qu’on leur donne. Des gars qui aiment le jardinage, tiens. On fait quoi avec eux?

Et des filles qui capotent sur les jeux vidéo, mais qui ont bien du mal à le dire parce que ça a une étiquette « garçon », j’en ai rencontré plusieurs dans le cadre d’une étude sur les femmes en TI que je suis en train de terminer. On fait quoi avec elles?

Des filles qui ont du mal à rester tranquillement assises sur leur chaise, ça existe aussi, j’en ai fréquenté de près. Elles auraient eu besoin de la même chose que ces gars qui bougent plus. On fait quoi avec elles?

Ça commence à faire plusieurs personnes « atypiques ». Savez-vous à quel point c’est difficile de dire qu’on aime un domaine pour lequel une étiquette genrée est apposée? Est-ce qu’on croit vraiment qu’en associant des intérêts à un genre, on aura réglé la question et que les garçons réussiront mieux à l’école, tout à coup? C’est ça, la solution gagnante dans le reste du Canada (où il y a moins de décrochage), vraiment?

Ce sont les étiquettes pré-apposées qui nuisent. Je comprends que ça rassure, que c’est plus facile quand nos intérêts correspondent à ce que l’on attend de nous. Mais c’est justement ce qui crée le déséquilibre: la catégorie « fille » se fait dire qu’être calme et rester tranquille, c’est un must pour elle. La catégorie « garçon » est encouragée à être active, à se salir. Rendu à l’école, la première est déjà « éduquée » à rester sage. Les filles qui ont d’autres intérêts que la « norme » peuvent être étiquetées comme « tomboy » ou encore paraître « fortes ». Mais les gars qui ont des intérêts vers des activités de filles, quels mots utilisent-on? Et on se surprend après que chacun des genres « favorisent » en masse des activités typiques de leur genre, sans explorer « l’autre bord » par peur d’avoir l’étiquette?

Je pensais que « les filles au jardinage » « les gars en techno », on se doutait déjà que ce n’était pas une solution potable, surtout quand on sait que c’est le milieu socioéconomique qui détermine vraiment le décrochage, pas le sexe.

Ce serait la base du succès de ne pas limiter les intérêts des enfants, de leur ouvrir toutes les portes et de les encourager à persévérer dans une passion qui les accroche à l’école. Impro, techno, art, photo, musique, jardinage, soccer, peu importe. Sans que l’étiquette « fille » ou « gars » vienne les empêcher de s’y lancer avec enthousiasme.

François Cardinal a raison sur un point essentiel: l’école est rigide, elle suit un parcours préétabli à lequel il faudrait tous correspondre. Ça fait un moment qu’on le sait, que les chercheurs le dénoncent. Il faut faire varier les méthodes pour que les enfants s’y retrouvent, développent le plaisir de l’apprentissage. Ça se peut, on le fait dans plusieurs écoles où il y a des programmes spéciaux qui motivent les jeunes: l’école secondaire d’Arvida a même ouvert un spécial E-Sport, wow! À ce que je sache, les filles aussi peuvent s’inscrire, mais si on leur a déjà confirmé au primaire que c’était étiqueté « gars », elles hésiteront en masse.

Si ma fille a envie de science, vas-y. Si t’as envie de littérature, lance-toi.
Mon fils, tu as envie de jardinage? Pas de trouble. Les maths et Minecraft? Super!

Si les gars ont envie de cultiver des plantes, il faut qu’ils se sentent à l’aise de le dire. Si elles trippent sur les jeux vidéo, il faut qu'elles puissent s’y inscrire sans un instant d’hésitation.

Mais bon, des études de chercheurs qui s’entendent et pointent dans la même direction, quand ça ne rejoint pas notre propos, on n’en a pas tellement besoin.

Je vais arrêter d’écrire maintenant parce que j’ai du mal à rester tranquillement assise sur ma chaise. De toute façon, la réussite des garçons à l’école, on s’en occupe à Gatineau.

19 septembre 2019

40 ans et son image

Comme l’an dernier, je décollerai vers le Japon le jour de mon anniversaire. La fête durera donc très peu de temps, car je passerai la ligne de changement de date au milieu du Pacifique et le 2 octobre deviendra brusquement le 3. En 2018, j’ai « vécu » 8 heures du jour de mon anniversaire; cette année, ce sera un peu plus. Si je les mets ensemble, ça fera moins de 24 heures! C’est très drôle.

Le problème avec le changement de décennie est que chaque âge porte des « attentes ». Et en entrant dans le 40, je corresponds de moins en moins à ces dernières.

Personnellement, vieillir ne me fait pas grand-chose. Dans ma tête, j’étais déjà « vieille » quand j’avais 5 ans. Je me sentais décalée, encore plus en arrivant à l’adolescence. La « beauté » et la fraicheur de la jeunesse ne m’ont jamais vraiment servie. Je restais concentrée sur mes livres, je chantais dans ma chambre en cachette et j’avais la tête dans mes projets et mes rêves, avec mille et une envies.

Alors vieillir pour moi, ça a longtemps voulu dire qu’on me reprochait de moins en moins d’être comme je suis. J’avais l’air plus « normale » de partir à l’étranger en sac à dos, de changer d’emplois, de revenir aux études au lieu d’être sérieuse. C’était « de mon âge ».

Mais 40 ans, c’est un tournant où ma façon de vivre recommence à être taxée de « bizarre ». Je n’ai pas de job stable, pas de maison, pas de définition précise de qui je suis. Quand je sors une carte d’affaires, je dois me demander laquelle convient à la personne devant moi: celle plus sérieuse, avec mon titre de sociologue ou celle en japonais qui précise mon pays? Celle où il y a l’énumération de mes réseaux sociaux? Celle avec mes livres? Celle consacrée au Japon ou à l’Islande? Ou la « retraitée » carte d’affaire musicale?

Ce qui est normal pour moi, c’est d’être multi, alors je suis à l’aise avec mes différentes cartes. Mais ça provoque deux types d’effets: « Wow! Je t’envie! Comment tu fais? » ou « Vas-tu te brancher un moment donné? » Étrangement, ma réponse est la même: « Je ne sais pas ». Ça dépend de tant de choses hors de ma volonté: l’inspiration, la passion, la chance, les idées, la santé, le chum, la famille.

On remarquera que l’âge n’entre pas dans mes critères. Bien sûr, l’âge vient jouer dans l’aspect « santé », mais la réplique « Ce n’est plus de ton âge » n’a pas plus d’impact que « Tu es trop jeune pour ça » en avait quand j’avais 12 ans. Désolée. La vie est trop courte pour que j’ajoute ce critère à mes limites.

L’apparence de jeunesse, c’est un avantage quand on veut cruiser. Mais pas quand on doit être crédible en contexte académique. Alors, pour mon prochain voyage, je ne conviens pas.

J’assume. Je serai la seule femme sur mon panel au congrès de sociologie, à Tokyo. Une des rares étrangères aussi. J’amène mon complet vert printemps. Tant qu’à sortir du lot, aussi bien le faire franchement.

Tout ça pour dire que je suis bien stressée de prendre cet avion. Et mes 40 ans.

Heureusement, l’envie ne s’est pas tarie. J’ai bien l’intention de le faire durer jusqu’à mes 100 ans. On s’en reparlera à ce moment-là, ça arrivera bien assez vite.