15 avril 2020

Ça va bien aller ou pas?

Ce qu'il faut de saleté pour faire une fleur!
- Félix Leclerc

Le crépuscule est mon heure préférée. Toutefois, je déteste le mot en français, alors je préfère « entre chien et loup », car l’image est magnifique. Et elle rend hommage à cette heure bleue, celle qui, de tout temps, a permis de créer des histoires. Le crépuscule est hors catégorie, il flotte entre les deux mondes que les humains aiment se créer: le jour et la nuit, le bien et le mal, le noir et le blanc, la santé et la maladie, le bonheur et la dépression, l’ombre et la lumière. Tous nos grands récits occidentaux sont basés sur ces deux divisions: la Bible, les Fables de la Fontaine, Star Wars, Harry Potter (chacun ses classiques, hein).

Pourtant, les êtres humains découvrent rapidement que nous sommes tous loin de la perfection, sans être des monstres absolus non plus. Nous sommes troublés la première fois qu’on découvre que c’est possible d’être à la fois heureux et insatisfaits, ou encore profondément en paix dans une situation inconfortable. Nous vivons constamment des états de crépuscule.

Dans le contexte de crise actuelle, le slogan « ça va bien aller » a d’abord suscité l’adhésion des Québécois qui l’ont dessiné dans leur fenêtre, qui l’ont affiché sur leurs statuts, qui terminent leurs courriels ainsi. Puis, il a suscité une critique virulente: c’est un slogan infantilisant, ça va mal présentement, ça continuera d’aller mal, la vie c’est de la marde (j’ai le goût de chanter Lisa Leblanc), etc.

Ça m’a fait réfléchir. Et c’est finalement dans l’image qui accompagne systématiquement ce « ça va bien aller » que j’ai trouvé une partie de la réponse à mes questions. Parce que, pour avoir un arc-en-ciel, ça prend de la pluie et du soleil en même temps.

Je suis privilégiée sans aucun doute: ma famille est en santé, je ne vis pas de violence, les finances sont difficiles, mais correctes. Mes journées en ce moment ne sont ni heureuses, ni malheureuses, comme bien des gens. Ça ne veut pas dire qu’elles sont grises, simplement qu’elles sont parsemées de moments d’inquiétude, mais aussi de sourires.

Et probablement que ce qui suivra la crise ressemblera à ce mélange de couleurs révélées par la lumière et la pluie. J’avoue que je n’y pense pas beaucoup en ce moment. Je m’inspire de mes enfants qui ont beaucoup plus de facilité à vivre un jour à la fois. Ce n’est pas toujours possible pour les adultes: il faut penser à ce qu’on va manger, aux comptes à payer. Mais là, ce n’est pas le temps de prévoir la prochaine année quand le contexte ne le permet pas.

C’est un autre apprentissage, ça: le lâcher-prise. Finalement, la crise m’aura peut-être appris des choses utiles pour l’avenir. Je verrai bien.

En attendant, mon chum m’a rappelé qu’au début, le « ça va bien aller » n’était pas un message qui s’adressait à tout le monde, mais plutôt un soutien au personnel des soins de santé. Si je traduis, je suis donc en train de dire aux infirmières et aux médecins qui se rendent travailler à l’hôpital à côté de chez nous: « Ça va bien aller parce que je ne vais pas m’ajouter aux gens que tu vas devoir traiter, je reste chez nous ».

Je n’espère pas que l’humanité deviendra meilleure au sortir de la crise, je ne pense pas qu’elle sera pire non plus. Certaines choses auront changé pour du mieux, d’autres nous décevront parce que nous aurons espéré plus. Il sera intéressant de les observer, les décrire, les comprendre. Ce pourra être sombre comme la nuit, très lumineux pour d’autres, ressembler à un long crépuscule… Mais c’est un peu ça la vie: jamais stable, parsemé de couleurs, avec ses ombres et ses lumières. Et c’est la seule chose dont on peut être sûrs finalement: elle exige beaucoup d’adaptation à nos corps, nos coeurs, nos esprits. C’est ce qui la rend à la fois épuisante et fascinante.

Aucun commentaire: