Début septembre, j’ai été sélectionnée par la bibliothèque de l’Université Laval qui assumait les frais du voyage afin que je puisse assister au colloque OpenCon, du 14 au 16 novembre à Bruxelles. Ce séjour particulier en Belgique s’est déroulé en même temps que les attentats de Paris. Si la colloque avait été prévue une semaine plus tard, je me demande même si elle aurait pu avoir lieu, étant donné que la ville est pratiquement close. Une pensée troublante, car je ne peux m’empêcher de me sentir liée à ce qui se passe là-bas.
Promouvoir la science ouverte
Qu’est-ce que l’OpenCon au fait? Organisée pour une deuxième année par SPARC, une alliance de bibliothèques académiques qui promeut le libre accès à la recherche, l’OpenCon est un colloque qui réunit ceux qui s’intéressent à la science ouverte (open access). Mais qu’est-ce la science ouverte? C’est offrir un accès gratuit, immédiat et électronique aux articles scientifiques des chercheurs, ce qui permet d’utiliser pleinement ces données et ces résultats (open data) pour d’autres recherches. La science ouverte inclut également l’éducation ouverte (open education), une façon de faciliter l’enseignement et l’apprentissage en utilisant le réseau Internet.
L’accès aux connaissances pour faire reculer la peur
Nous avions donc plusieurs conférences et tables rondes. Le samedi suivant les attentats à Paris, Daniel Spichtinger de la Commission européenne a plaidé pour un large accès à la science afin de faire reculer la peur. Car selon lui, c’est grâce à l’éducation que les gens développent un meilleur esprit critique. Mais pour cela, il ne faut pas les empêcher d’avoir accès à la connaissance comme le fait présentement le système en place. Pour donner un idée, il faut savoir que la bibliothèque de l’Université Laval dépense chaque année 8,25 millions (soit 69% de son budget) pour permettre à ses professeurs et étudiants d’avoir accès aux revues scientifiques. Et cela ne compte pas les montants déboursés par les professeurs pour que leurs articles soient publiés dans les revues les plus prestigieuses (ce qu’on appelle l’APC).
La Commission européenne a donc mis en place une politique pour favoriser la science ouverte, à l’image de ce que fait depuis peu le CRSH au Canada: si la recherche est financée par des fonds publics, ses résultats seront libres et accessibles. C’est tout à fait logique: le public paie pour une étude, il a le droit d’y accéder. Mais le problème, c’est que la plupart des recherches sont maintenant faites en partenariat avec le privé...
Le conflit carrière vs science ouverte
Michael Eisen, cofondateur de la Public Library of Science (PLOS) et biologiste à l’University Berkeley, est ensuite venu présenter les difficultés de publier ses résultats en libre accès. Des dilemmes comme choisir entre bâtir sa carrière de professeur (en publiant dans des revues prestigieuses) ou travailler à un monde meilleur (en donnant à tous le droit d’utiliser ses données et de faire avancer la connaissance) se sont souvent présentés. Il a choisi de les ignorer. Il déplore qu’aujourd’hui on juge le chercheur en notant le nom des revues où il publie, au lieu de s’attarder au contenu et à la qualité de ses recherches. Il prône même que les brouillons d’articles soient publiés et qu’ils soient corrigés au fur et à mesure, pour permettre à d’autres de travailler avec les données. Une proposition qui s’applique au monde de la science pure, mais moins aux sciences humaines et sociales, je dois dire.
Erin McKiernan, quant à elle, a toujours fait du libre accès à la science son modus operandi: « Si publier dans les journaux libres d’accès allait me coûter ma carrière, ce n’était pas la carrière que je souhaitais. Point à la ligne. » Elle dénonce les chercheurs qui n’osent partager leurs données, voulant en garder l’exclusivité, les accusant de nuire à la science où le partage des données est essentiel: « Sur les épaules d'un géant, j'ai pu voir plus loin. » (Newton) Elle rejoint en cela les propos de David Sweeney, directeur du HEFCE, le principal subventionnaire des recherches en Angleterre: « Le but d’une recherche est de faire une différence pour la société. Quelle part de notre réputation comme chercheur peut être justifiée par les coûts d'une publication prestigieuse? »
Ce qui me semble le plus déplorable du système actuel est qu'on ne publie que les résultats positifs, laissant en plan ce qui n’a pas fonctionné. Cela introduit un biais considérable quand on réunit les recherches pour faire des métaanalyses: on n’a presque aucune donnée sur les recherches n’ayant pas fonctionné. Or elles sont tout aussi importantes que les autres pour avoir une bonne idée de la situation.
La science ouverte au Canada
April Clyburne-Sherin est venue présenter le regroupement OOO Canada qui réunit des chercheurs préoccupés par le libre accès au Canada. Fondé l’an dernier, OOO Canada (le nom a fait naître bien des sourires dans l’assistance) met en place des actions pour favoriser le libre accès. Par exemple, au Canada, les étudiants dépensent 38% du coût des études à l'achat de livres qui deviennent obsolètes dès qu’ils sont mis à jour. Ce qui rappelle que les publications libres d'accès sont plus à jour que les textes publiés à haut coût quelques années auparavant.
On prend conscience de la force du système et des infrastructures quand on se heurte à ce qui ne marche pas. Si je connaissais déjà l’importance de la science ouverte, c’est lors de mon dernier congé de maternité que j’ai véritablement fait face à un grave problème: il m’était impossible de lire les articles scientifiques nécessaires à ma thèse. Mon accès était suspendu, comme si mon cerveau devait l’être aussi! Sans mentionner que dès que j’aurai terminé mes études, il me deviendra impossible d’accéder aux articles scientifiques que j’ai écrits...
Finalement, j’ai appris grâce à Jan Gondol, qui a travaillé pour le gouvernement de Slovaquie afin de mettre en place une entente intergouvernementale sur la science ouverte, que le Canada fait partie de ce partenariat et qu’un Plan d’action 2014-2016 est même en place dans notre pays pour favoriser le gouvernement ouvert!
Les solutions pour favoriser la science ouverte
Les journaux scientifiques sont « cotés » selon une méthode dont on ignore les critères précis, mais qui a un lien avec le nombre de citations où un acteur sera cité ailleurs. On appelle cela le « Impact Factor » (IF) d’un journal. Cela concerne les journaux anglophones. Si vous publiez en français, comme c’est le cas de plusieurs professeurs au Québec, vous ne publiez pas dans des revues scientifiques « reconnues ». Cela vous donne moins de points comme chercheur, ce qui peut vous nuire dans la recherche d’un emploi, car plusieurs universités se basent maintenant sur des statistiques qui inclut IF, soit le nombre de citations que vous avez dans d’autres articles. Pourtant, comme le rappelle Iara Vidal, bibliothécaire au Brésil: « L'impact des recherches dépasse leur nombre de citations, ce qui devrait réellement compter, c’est leur impact dans la société et hors du monde de l'éducation. Les chercheurs ne doivent pas seulement parler aux chercheurs, mais atteindre le reste des gens. »
Ce n’est pas la première fois que j’en entendais parler, mais étonnamment, un des chercheurs rappela que les journaux scientifiques reconnus n'ont pas de meilleurs articles, et qu’ils contiennent même plusieurs biais et problèmes de méthodologie. Les propositions pour améliorer l’accès furent nombreuses: inverser le réflexe des universités en rendant la publication libre-accès par défaut avec des démarches à faire de plus quand on veut restreindre l'accès à un article.
Dans les tables rondes qui se sont ensuite succédé, on a parlé d’un des soucis majeurs avec les revues scientifiques ouvertes: si elles sont libres d’accès, elles font payer les auteurs pour rendre leur texte disponible gratuitement (APC). Les professeurs utilisent donc une partie des subventions allouées pour payer la publication, ce qui prive la recherche d’une partie des fonds... Comment faire autrement? L’Amérique latine est un bon exemple de système coopératif: les chercheurs de ces pays utilisent en grande majorité le libre accès. Les revues scientifiques sont financées par des fonds publics et il est gratuit de publier et de lire.
Mes impressions
Le colloque s’est clôt avec les mots de Jimmy Wales, fondateur de Wikipédia qui a profité de l’occasion pour rappeler que si les universités du nord avaient encore les moyens de payer les abonnements des revues scientifiques, les universités du sud n’avaient pas ces capacités, ce qui est profondément injuste et contreproductif puisque ces étudiants ne pourront pas pleinement profiter des recherches en cours dans leur domaine. Avec toutes les coupures que les universités québécoises ont eu à encaisser dans les dernières années, ça devient un problème ici aussi: l’Université Laval est en train de couper dans la liste des revues disponibles pour épargner.
Ce fut un colloque extrêmement intéressant qui m’a permis d’en apprendre énormément sur la science ouverte. Je reste toutefois sceptique quant à la possibilité pour les recherches avec des sujets humains (ce qui concerne surtout les sciences humaines et sociales) à diffuser les données (open data) car de sérieuses règles éthiques empêchent ce genre de pratiques, ce qui fut souligné pendant l’une des tables rondes. Rendre les données des entrevues disponibles obligerait à modifier jusqu’au formulaire de consentement. C’est une réflexion à entamer.
Je souligne également qu’à peu près toutes les tables rondes présentaient la mixité des genres. Comme on l’a vu, lorsqu’il n’y aucun résultat probant, c’est tout aussi important à souligner que l’inverse! Le site Décider entre hommes n’aurait donc pas pu mettre des photos pour dénoncer cet événement! :)
2 commentaires:
Wow, ça avait l'air extrêmement intéressant ce colloque!
Étant historienne, j'ai toujours eu l'avantage que les manuels achetés ne devenaient pas désuets trop rapidement! (Les interprétations peuvent changer, mais c'est rare qu'il y a de nouveaux faits de base)
Par contre, les revues scientifiques étaient TOUTES payantes. Et les bibliothèques finançaient l'accès à ces articles en chargeant un bras et une jambe quand on voulait les faire imprimer. Or, on pouvait rarement se contenter d'une consultation en ligne. Et on ne pouvait pas imprimer chez nous, un mécanisme nous en empêchait.
Et quand j'ai voulu faire des recherches pour une nouvelle, récemment, j'ai vraiment braillé en découvrant que moi non plus je ne pouvais plus avoir accès, de chez moi, aux revues que j'avais l'habitude de consulter.
C'est sûr qu'en sciences humaines on ne peut pas nécessairement donner un accès ouvert aux données, mais ce serait déjà un pas en avant de publier librement les résultats!
Ce fut effectivement fort enrichissant. Ton partage aussi d'ailleurs, ça me permet d'ajouter d'autres exemples d'injustices de ce système aberrant. Merci beaucoup!
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