Ils sont nés entre 1980 et 1995. Et ils font partie de ce qu’on appelle la « génération Y », parce que « Y » se prononce « Why » en anglais: c’est la génération du « pourquoi ». Depuis quelques années, ce sont ces jeunes qui font peur aux employeurs et, depuis quelques mois, ce sont les mêmes qui bouleversent l’actualité, dérangent les habitudes et questionnent, justement, le gouvernement et le système en place.
Ce conflit a rejoint tous ceux qui souhaitaient « questionner » les décisions prises dans le passé et prendre part aux choix à venir. Mais ce mouvement reste porté par les étudiants. Et il est caractéristique de leur génération.
Le titre ne fait pas le moine
Ça m’a marquée tout au long de ce conflit: plusieurs chroniqueurs et ministres n’ont pas compris. Certains n’ont pas cherché à le faire non plus : se contentant de traiter les jeunes d’enfants-rois et de bébés gâtés. D’autres semblaient surpris par l’ampleur de la crise. Pierre Reid, ancien recteur de l’Université de Sherbrooke et ministre, a même dit: « La base étudiante est à mon avis noyautée par des gens qui ne prennent pas leurs études très au sérieux », alors que les deux porte-paroles de la CLASSE ont obtenu des distinctions scolaires importantes. C’est dire à quel point l’incompréhension est grande.
Le même problème se pose sur le marché du travail. Pour le jeune de la génération Y, ce n’est pas parce que le patron a un titre ronflant qu’il est compétent. Avant de lui accorder sa confiance, le boss devra faire ses preuves: mettre les cartes sur table, faire preuve de transparence, discuter et consulter ses subalternes. Recevoir un ordre sans en comprendre le sens met tout de suite le Y sur la défensive: il doutera des conséquences positives de cette obligation et hésitera à obéir.
Le clivage est important. D’un côté, on a cette génération qui veut faire partie du processus de décision, de l’autre des générations qui respectent les compétences des supérieurs et leur font relativement confiance quant aux choix qu’ils font.
L’importance de prouver sa compétence
Pour qu’un jeune adulte de la génération Y reconnaisse l’autorité, il faut d’abord lui prouver sa compétence. Et pour ce faire, eh bien, il faut se parler...
Ce conflit a démarré exactement sur ce malentendu: jamais le gouvernement n’a rencontré les étudiants pour discuter de ses positions. Il a eu l’attitude contraire: imposer sa décision et rester ferme sur la question, sans prendre le temps (avant la 11e semaine de grève) de s’asseoir avec les étudiants. Encore plus étonnant, pendant la conférence de presse annonçant la mise en place d’une loi spéciale, jamais le Premier ministre ne s’est adressé aux étudiants, se contentant de faire appel à la « population »!
Il est fascinant de lire cette phrase de Martine Desjardins, présidente de la FEUQ, qui commentait la courte présence du Premier ministre à table de négociation, le 29 mai: « Il n'avait pas beaucoup de réponses pour les questions qu'on avait à lui poser. » Ah! Voilà le cœur du problème: il a beau être Premier ministre, ça ne le rend pas « compétent » pour autant. Il doit le prouver en expliquant le pourquoi de ses positions. Ce qui permettra aux étudiants de faire la même chose et de débuter une véritable négociation. Les Y sont des négociateurs, c’est ce que leurs parents et l'école leur a montré: pour réaliser des projets, il faut travailler avec les autres..
Le prince estimé verra ses lois respectées
On était donc fort mal parti. Si on comprend cette logique des Y, est-ce si imprévisible de les voir déclarer qu’ils défieront la loi 78? (parenthèse protège-loi: je spécifie que je n'invite pas à la désobéissance, je tente seulement de comprendre) Pour avoir un minimum de légitimité, le patron du Y doit non seulement prouver sa compétence, mais il doit le consulter à l’occasion.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est dans la société japonaise, un modèle de respect de la hiérarchie, que je vois un lien avec cette façon de travailler présente dans leurs grandes entreprises. Un document détaillant le projet circule de mains en mains, de la direction à la base. Tous ont le temps de le consulter et doivent apposer leur « sceau » pour signifier qu’ils l’ont lu: si le sceau est légèrement de travers, on comprendra un désaccord. Et on pourra revenir sur le projet. On cherche d’abord à créer le consensus dans l’entreprise avant de démarrer un projet. Conséquences? C’est très long avant de prendre une décision, mais quand on y est, tout le monde travaille très vite à sa réalisation!
La faculté d’identifier ses limites
Alors, puisqu’ils demandent à ce qu’on les consulte, c’est donc dire qu’ils ont une opinion sur tout? Qu’ils sauraient, au même titre qu’un ministre expérimenté, régler les affaires de l’État? Ils se croient vraiment supérieurs à tout le monde!
Ces propos teintent plusieurs critiques du mouvement étudiant. Sur le site du Rassemblement des cols rouges, une phrase fait directement appel à cette conception: « Quelqu'un qui pense que jouer de la guitare ne transforme pas un individu en expert dans tous les domaines. »
Or ce n’est pas le cas. L’exemple le plus évident fut le rejet massif de l’entente du 5 mai
(342 000 étudiants contre 5000 qui acceptaient). L’idée maîtresse du document, soit de créer un comité qui réviserait les finances des universités et tenteraient de trouver de l’argent, était inapplicable. Les étudiants ne sont pas des gestionnaires et des vérificateurs financiers. Et ils connaissent les limites de leur savoir.
Et donc...
Évidemment, réduire les différences à un conflit de générations est une vaste généralisation. Mais on doit tout de même reconnaître que ces jeunes, dans la rue depuis février, ont quelque chose de particulier.
Certains employeurs n’ont aucun mal avec cette « nouvelle façon » de voir la vie. Ça donne de beaux textes, comme celui de Pierre Marc Tremblay, propriétaire de Pacini et du Commensal.
Le Y veut faire partie du processus de décision, il se renseigne sur les projets, il partage ses idées. Mais avec un leader respecté et compétent (selon son sens à lui), le Y accepte de ne pas gagner sur tous les points.
Les étudiants ne semblent pas avoir eu ce genre de leader devant eux. Avec les conséquences que l’on connaît.
2 commentaires:
Très, très beau papier, Valérie.
Tu mets le doigt sur quelquechose. =)
Le réel questionnement est très bénéfique pour avancer, il valorise sans démolir,
il apporte lumière et volonté d'améliorer la qualité de vie sociale en tenant compte du bien commun.
Il croit en la capacité de chacun de cheminer sans violenter.
Il est patient et ne cherche pas son pouvoir dans des paroles blessantes.
J'aime cette génération qui questionne et surtout se questionne sur elle-même pour se connaître et avancer dans son humanité.
Louise Gagnon
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