11 décembre 2006

Le retour du Japon

Dimanche, 10 décembre 2006. Il est tôt, il fait soleil lorsque nous fermons la porte de notre petit appartement pour une dernière fois. De notre balcon, on peut voir un arc-en-ciel au-dessus des montagnes d’Arashiyama. On le prend comme un bon présage.

On commence le transport des valises jusqu’à la gare. Nous avons le maximum avec nous : deux grosses valises chacun, une petite valise pour l’avion et un « sac à mains » (ordinateur et grand sac). On a passé la nuit à les peser pour les faire correspondre au poids maximal de la compagnie qui nous transporte.

Évidemment, nous n’avons pas assez de mains pour transporter tout cela. Il faudra faire deux voyages. Je fais le premier avec Philippe puis il va chercher le reste. J’en profite pour transporter les grosses valises de 23 kilos dans les escaliers, vers la voie d’embarquement. Les gens sont gentils : plusieurs personnes nous aident et je n’ai qu’un seul voyage à faire.

Lorsque Philippe arrive enfin, le train est sur le point de s’arrêter. L’employé de la gare l’accompagne avec une valise et voilà, nous sommes bel et bien embarqués dans le bon train.

Direction : gare de Kyoto, pour un transfert. De là, une dame nous aide à rouler nos valises jusqu’à l’autre voie d’embarquement, pas très loin. C’est le dernier train : un express entre Kyoto et l’aéroport d’Osaka où nous prendrons notre avion. Dire que dès « ce soir » (grâce au décalage horaire) nous serons chez nous!

On présente nos billets électroniques, notre numéro de confirmation obtenu voilà deux jours et nos valises à la porte d’embarquement. En pesant le tout, le commis nous informe que chaque valise fait 23,4 kilos (sa balance est plus précise que la nôtre) et qu’il faut enlever du poids. On ouvre les valises, jette certains objets dans la poubelle et on retourne à l’embarquement. Mais il y a un problème avec nos billets.

Je dois expliquer ici le contexte particulier de notre voyage. Nous sommes partis en décembre 2005 avec des points primes offerts par les parents de Philippe. Nous avions des billets aller-retour avec Air France pour la Nouvelle-Calédonie. Après un mois de vacances là-bas, nous sommes revenus jusqu’au Japon où nous avons prolongé « l’escale » de onze mois.

Jusque là, tout va bien. Le hic, c’est que la compagnie affiliée à Air France avec laquelle nous devions revenir n’avait pas reçu la confirmation que les points prime avaient bien été retiré du compte de mon beau-père.

Nous sommes dimanche. Ils ne peuvent pas téléphoner en France pour s’informer car tout est fermé, bien sûr. Après maintes discussions, tentatives d’explication et quelques pleurs, le pire arrive : l’avion part sans nous. Et il faudra attendre au lendemain pour avoir une solution. Peut-être…

C’est là, à l’aéroport du Kansai, que la réalité m’a frappée pour la première fois : j’étais vraiment très loin de chez moi. La conscience d’être à l’autre bout du monde ne m’avait jamais vraiment atteinte. J’avais Internet, le téléphone, un appartement, Philippe… Mais prise avec mes seules valises, sans autre choix que de dormir sur les bancs d’un aéroport, l’éloignement m’a sauté aux yeux. Aucune débrouillardise ne pouvait m’aider puisque il m’était impossible de retourner chez moi à pieds, en train ou en autobus.

Évidemment, conséquence normale de cette prise de conscience : je me mets à pleurer comme un bébé. Je me souviens vaguement des regards pleins de pitié des Japonaises qui me regardaient marcher dans les couloirs de l’aéroport comme une condamnée. Lorsque j’ai annoncé à mes parents que je ne rentrerais pas tout de suite et que je ne savais pas quand je serais de retour, je m’accrochais au téléphone comme une désespérée.

Heureusement, il y avait Philippe. Mon conjoint est un homme calme et je me suis lentement moi aussi calmée. On s’est trouvé un petit coin isolé avec une prise électrique, à laquelle on a branché notre ordinateur. J’avais quelques dessins animés qu’on a écoutés ensemble. Il nous restait quelques yens et on allait parfois flâner dans l’aéroport, même si on n’avait pas très faim.

On a fini par trouver une connexion WIFI qu’on a utilisée pour communiquer avec les amis. J’ai travaillé mon site web et j’y ai ajouté plusieurs fonds d’écran. On avait du temps à profusion. Nous avons passé la nuit à faire le guet à tour de rôle. Nos valises étaient tout ce qui nous restait : nous y tenions!

Le lendemain matin, nous avons téléphoné à Air France dès 9 h. Mais la compagnie aérienne ne pouvait rien faire par téléphone, il fallait rencontrer la responsable de l’aéroport.

Après plusieurs dizaines de minutes d’attente, nous avons enfin croisé brièvement la dame d’Air France. Elle était très occupée, mais nous lui avons expliqué notre cas, au milieu de la file d’embarquement. Elle nous a répondu que le problème, selon elle, c’est qu’on ait voulu voyager avec une compagnie affiliée. Comme nous sommes arrivés avec un avion identifié Air France, il fallait repartir avec la même compagnie. « Oui, oui, oui, mais partons-nous bientôt? », nous sommes-nous empressés de répondre.

L’avion du jour était plein, même en classe affaires. Voyager avec Air France au mois de décembre n’est pas la bonne période pour avoir des problèmes. Mais la dame nous a préparé les billets pour le lendemain.

Soulagement et déception. Une autre nuit à dormir sur les bancs. Nous savions également que l’avion Osaka-Paris arrivait trop tard pour prendre la correspondance pour Montréal. Nous allions devoir passer une nuit à Paris. Nous avons réservé tout de suite un hôtel par Internet. Et nous sommes retournés nous installer dans notre coin préféré.

Toutes les nuits, les agents de sécurité de l’aéroport passaient prendre les numéros de nos passeports et nous demander des explications. Mais ils restaient très gentils. Ils devaient bien voir qu’on ne faisait pas grand mal.

Mardi 12 décembre 2006. Nous embarquons enfin dans l’avion. Lorsque j’ai vu le sol du Japon s’éloigner sous mes pieds, les soucis de ces deux jours saturés d’inquiétude et de tristesse se sont envolés. Ce vol a sans aucun doute été le plus agréable de notre vie, avec des agents de bord absolument charmants.

L’hôtel que nous avions réservé à Paris était très abordable, ce qui signifie peut-être que le sourire était une option. Mais c’était très secondaire, puisque nous ne pensions qu’à dormir. Quatorze heures de sommeil nous ont beaucoup calmés.

Mercredi 13 décembre 2006. On arrivait enfin au Québec, avec plus d’une heure de retard. Nous ne savions pas si nos valises avaient fait le voyage avec nous puisqu’il y avait une grève à Paris et plusieurs bagages étaient restés au sol. Mais heureusement, le hasard avait terminé de nous taquiner. Nos valises étaient là et nos parents aussi.

Il faisait 8 degrés à Osaka lors de notre décollage, 8 degrés à Paris lors de notre sommeil et 8 degrés à Montréal lors de notre arrivée. Et il pleuvait légèrement partout. On ne peut pas dire que le choc de l’hiver fut très grand. Mais quel voyage!

3 commentaires:

Ashtom a dit...

En effet, c'est incroyable! Mais ça fait plaisir de voir avec quelle philosophie vous avez pris la chose.

Nomadesse a dit...

On a l'impression que je raconte une histoire absurde, non? En effet, c'est le genre "d'anecdotes" qu'on raconte au retour de voyage...

Panoramixia a dit...

Ouf toute une aventure !

Elle fait penser au film The Terminal mettant en vedette Tom Hanks:

Il est inspiré de la vie de cet homme, Mehran Karimi Nasseri, qui a vécu 18 ans dans l'aéroport !

Pano