12 mai 2020

Le masque et l’invisible pression sociale

On a tout entendu sur le port du masque. Les autorités publiques ont hésité à nous le conseiller, sans doute parce qu’ils en manquaient pour le personnel de santé. Depuis peu, le Dr Arruda nous le recommande vivement, changeant son fusil d’épaule.

Ok. Le message est plus cohérent sur l’utilité du masque.
Et pourtant, les gens qui le portent sont encore très peu nombreux.

Pendant ma vie au Japon, je suis passé de l’attitude « ben coudonc, pourquoi tout le monde porte un masque quand ils sont malades, c’est un peu exagéré » à « c’est drôle, j’ai plein d’étudiants malades (et masqués), pourtant je n’ai pas encore attrapé leur rhume... ».

Si j’ai fini par en acheter, c’est parce que j’ai trouvé que c’était une bonne idée pour ma santé et celle des autres. Mais il y a aussi une autre raison. Non, je n’avais pas consulté quinze études scientifiques; non, personne ne m’avait avertie. C’est beaucoup moins glorieux: j’ai fini par en mettre un parce que je me sentais mal sans masque si je coulais du nez (même pour des allergies). Donc, ce qui m’a fait porter le masque en Asie, c’est aussi la pression sociale.

Nous sommes de petites bêtes sociales, ne l’oublions jamais. Ça nous amène à imiter nos semblables. En situation de stress intense, comme c’est le cas en ce moment, on observe encore plus attentivement les autres. En période de pandémie, les raisons logiques pour porter le masque s’accumulent.

Mais au Québec, la pression sociale travaille à l’envers. Malgré toutes les bonnes raisons de le mettre, à l’épicerie ou à la pharmacie, si une personne porte un masque, elle fait bande à part. Deux réactions sont possibles: soit le regard douteux, tout à coup qu’on serait malade... Ou encore, pour les autres qui se sentent prêts à braver la CoVid, les yeux expriment plutôt un léger dédain: « Pas besoin d’aller aussi loin quand même... »

Dernièrement, j’ai dû aller chez le podiatre avec ma petite fille. J’avais un masque, elle aussi. Entre notre auto stationnée et l’entrée, nous avons été remarquées, regardées, évaluées. En entrant chez le bureau du spécialiste, on a attendu. Quand il est arrivé, il a mis des gants et un masque. J’ai ressenti un immense soulagement: tout à coup, nous ne faisions plus partie de la « gang des prudents bizarres »!

Nous ne devrions pas négliger le poids d’aller contre la pression sociale. Sinon les choses vont changer lentement, trop lentement. Les solutions sont multiples: des messages répétés et cohérents des autorités et des médecins; un rappel plus unanime de ce que ça peut apporter d’en avoir un; voir des gens en porter, surtout ceux et celles qui travaillent en public.

J’ai l’impression que le port du masque se répandra plus rapidement à Montréal qu’ailleurs au Québec. Car la peur du virus peut également être un allié puissant pour changer nos habitudes.

J’ai vu une pétition pour le rendre obligatoire. Cela peut fonctionner, effectivement les gens pourraient le porter; mais cela pourrait également avoir l’effet inverse: si trop de gens refusent de le mettre, il n’y aura jamais assez de policiers pour les empêcher de marcher… On pourrait peut-être commencer par le rendre obligatoire dans des lieux où nous sommes nécessairement plus proches: les épiceries, les pharmacies, les autobus, etc.

En fait, pour qu’une obligation soit efficace, il faut d’abord qu’une large part de la population y adhère. Ce n’est pas le cas en ce moment, il me semble. Trop de gens reste sceptiques à propos de l’utilité du masque. Le travail de pédagogie vient tout juste de commencer et il faut déconstruire le message confus envoyé par la santé publique sur son inutilité...
Ça prendra du temps. Alors commençons tout de suite à en parler. Et à s’avouer tout de suite deux choses:

1. Le masque, c’est inconfortable, je déteste avoir cette sensation d’humidité collée au visage.
2. Ça camoufle le sourire, je trouve ça d’une tristesse...

Mais, même si je le déteste, je suis également convaincue qu’il apporte davantage pour ma sécurité et celle des autres que ce que j’y perds.

Pourtant, je suis confinée depuis huit semaines, il y a peu de risques que je sois une porteuse asymptômatique. Mais je le mets quand même dans les bâtiments: aussi bien commencer à s’habituer, à tester les différents types de masques que j’ai achetés et cousus.

Et surtout à habituer nos regards. C’est la clé du changement d’habitude.

08 mai 2020

Otaku

Le 7 mai, un chroniqueur bien connu du Journal de Montréal a écrit un texte sur la victoire temporaire des otakus, étant donné que le confinement nous oblige à rester dans nos maisons, un peu comme le font ces passionnés de jeux vidéo, de séries animées et de lectures de mangas (bandes dessinées japonaises).

Le problème n’est pas tellement de présenter les otakus comme des personnes ayant le plus « d’aptitudes » à supporter le confinement, étant donné qu’une part de leurs activités se déroulent déjà chez eux. Je l’ai moi-même fait dans un vidéo humoristique Soyons tous otakus!, de nombreuses images et mèmes ont été créées par les otakus eux-mêmes pour rire de cela. C’est une communauté qui a un excellent sens de l’humour.

Or en lisant que les otakus seraient des « handicapés émotionnels qui se coupent du monde […] les complotistes, les conspirationnistes, les geeks, les ‘pas-de-vie’, ceux qui passent leur journée devant leur ordi », il est plus difficile de trouver ça drôle. On est plutôt dans les stéréotypes, l’ignorance et la méchanceté.

Les otakus ont-ils été surpris? Déçus peut-être, mais ils n’ont pas été surpris. Quand on connaît l’histoire du mouvement, on ne peut pas l’être.

Un peu d’histoire
Le mot otaku est japonais, il signifie tout simplement « maison », dans le sens de votre « chez-vous », le lieu où vous êtes bien. Il est toujours employé dans ce sens, mais dans les années 80, il a commencé à dériver de sa définition originale et de parler de gens qui aiment rester à la maison pour y faire des activités liées aux jeux vidéo, à lire des mangas, à regarder des dessins animés et, plus tard, à naviguer sur le web (pour jouer à des jeux, lire des mangas et regarder des séries!)

Depuis le début, traiter quelqu’un d’otaku n’était pas considéré comme un compliment au Japon. Même dans la société japonaise d’aujourd’hui, on est tolérant envers les jeunes qui sont otakus, mais il est mal avisé de le rester à l’âge adulte, comme le montre bien la série traduite en français Otaku Otaku, mais dont le titre japonais est plutôt « L’amour est difficile pour les otakus » (Wotaku ni koi wa muzukashii).

Avec la venue d’Internet, dans les années 90, le mot a traversé la barrière des langues et il a commencé à être utilisé en Europe et en Amérique. Internet a également permis de lier des gens qui se sentaient bien souvent seuls avec leurs intérêts, qui étaient jugés et étiquetés comme des nerds et des geeks asociaux.

Les otakus, des asociaux
C’est une accusation facile. Mais quand je discute avec un oncle passionné d’horticulture, le moment où il me parle vraiment, c’est quand j’aborde le sujet des fleurs. Pour un autre, il faut que je m’ouvre plutôt à parler de chars et du Salon de l’auto. Et je le fais car j’apprends tellement de choses grâce à eux! C’est aussi quand les gens parlent de leurs passions qu’ils sont les plus beaux.

Pour les fans d’animés, de mangas et de jeux vidéo, cette reconnaissance a été acquise d’abord auprès d’autres personnes comme eux, grâce à Internet bien souvent, car on ne trouvait pas toujours quelqu’un qui voulait bien jaser de SailorMoon et de Final Fantasy dans sa famille. Et le net a permis également d’avoir accès directement à ce qui se faisait au Japon, la source de plusieurs de leurs passions.

Depuis 10-15 ans, les otakus ont mis en place des événements comme l’Otakuthon à Montréal ou le Nadeshicon à Québec, où ils se rencontrent par dizaine de milliers pour s’amuser et revendiquer leur droit d’aimer une part souvent méprisée de la culture. Ils ont graduellement acquis une légitimité qui permet aux plus jeunes de ne plus avoir honte de leurs passions.

Distinguer les otakus et les hikikomoris
Mais il reste l’étiquette qu’ils se terrent dans leurs maisons, qu’ils sont inaccessibles et même un peu malades. Cela existe. Au Japon, certaines personnes ont même poussé jusqu’à devenir des hikikomoris, ce qui est sérieux, car c’est véritablement une fermeture, un enfermement volontaire dans sa chambre. Mais ce n’est pas le cas de la plupart des otakus, heureusement.

Au contraire, les otakus parlent, ils parlent même énormément. Mais comme le fan fini de motos et l’amateur de cuisine (une activité qui se fait à la maison, mais qui est valorisée), il faut peut-être aborder ce qui les fascine le plus… Les otakus ne le feront pas spontanément, étant donné que leurs passions sont encore vues négativement par plusieurs. Ça prend de l’ouverture d’esprit et un peu de patience si on n’avait pas d’intérêt particulier pour leurs sujets de prédilection.

Mépriser les otakus, une surprise? Bof, on l’a tellement fait, c’est une fois de plus. Et ça permettra sûrement la création de plusieurs amusantes images et mèmes, car les otakus sont des gens très créatifs. Et c’est justement leur créativité et leurs passions qui les sauvent en ce moment.

On souhaite à tous et à toutes autant d’imagination.