20 novembre 2015

Bruxelles, pas tout à fait paisible

Manneken-Pis et Jeanneke PisVendredi 13 novembre 2015. Rien n’annonce que la journée deviendra un tourbillon d’actualité. Mon avion se pose à Bruxelles où je dois assister à un colloque de trois jours sur le libre-accès à la science et aux connaissances tirées de la recherche. Étourdie par le décalage horaire, je prends le train, me fait revirer à l’hôtel qui n’est pas prêt à m’accueillir et je vais flâner dans la ville.

Manneken-Pis d’abord. Mon premier contact avec cette fontaine du petit garçon triomphant qui fait pipi remonte au 400e anniversaire de Québec. Nous lui avions fait faire un habit fleurdelysé.

Entouré de chocolateries qui vénèrent son nom et son geste, le Manneken-Pis fait couler son jet devant la foule qui se presse. J’ai goûté au chocolat à la poire, puis j’ai continué ma marche.

Je cherchais son équivalent féminin, la Jeanneke Pis. Je l’ai trouvé, grâce au GPS de mon cellulaire. Elle est dissimulée dans une ruelle sans issue. Pour la protéger du vandalisme, car la fille qui pisse ne peut être exposée triomphalement au monde comme le garçon, elle est cadenassée et protégée par des grillages, comme dans ces pays où l’on demande aux femmes de se couvrir le visage derrière une grille de tissu pour éviter le viol.

Visiter le Manneken-Pis à Bruxelles, c’est jouer au touriste. Voir la Jeanneke Pis, c’est s’exposer à la réflexion devant cette image si mignonne quadrillée de métal.

Grand Place de BruxellesJ’ai poursuivi mon chemin jusqu’à la Grand-Place de Bruxelles. Une merveille! J’ai téléphoné à Philippe et aux enfants. Il était l’heure du réveil chez moi. Environnée par la mairie et les touristes qui faisaient cliquer une multitude d’appareils, je leur ai raconté les statues, les dorures et la beauté du lieu. Je me suis achetée une gaufre et j’ai suivi la foule qui flânait dans les rues.

Sur le chemin de l’hôtel, j’ai croisé une petite pâtisserie qui m’a fait saliver (après un chocolat et une gaufre, vous pouvez en tirer la conclusion que j’ai le bec sucré et l’horaire décalé!). Les Merveilleux de Fred sont aussi bons qu’ils sont beaux. J’avais le projet d’y retourner chaque jour pour en manger un. Mais la soirée changerait mes plans pour les prochains jours.

Retour à l’hôtel pour enfin avoir ma chambre, prendre une douche, me brosser les dents et faire une mini-sieste. Ma colocataire n’est pas encore arrivée. Je pars pour la causerie à la librairie Tulitu où je parle du Japon toute la soirée, une bière belge à la main. Beau moment d’amitié. En quittant, je regarde mon cellulaire, il est 21h20. Je marche, heureuse, vers l’hôtel. L’air est bon, quel bel automne. Je fais plusieurs détours pour éviter les foules sur les terrasses et les trottoirs. Bruxelles la nuit est belle, animée. Les rues principales sont fermées dès 19h et les gens marchent un peu partout, libres et heureux.

Pendant ce temps à Paris, des jeunes ayant les mêmes sentiments voient venir l’horreur et le vacarme épouvantable de la mort et de la peur.

Je l’apprendrai plus tard, couchée dans mon lit, faisant un dernier appel à ma famille. On parle de huit morts. Je m’étends et dors pour apprendre le lendemain tout le poids du bilan final.

À Bruxelles, les sirènes de police vont se mettre à retentir, toute la journée. À passer devant l’hôtel et repasser. Pendant la conférence, sur mon fil Twitter que je consulte, je vois passer des nouvelles d’arrestations et je comprends le lien entre Paris et la ville où je suis.

Trois jours de conférence (je vous en ferai un bilan dans un autre billet). Trois jours d’inquiétude. Ma famille suit toutes les nouvelles. Personnellement, je n’osais pas trop sortir. Il faut dire que je n’avais pas de temps libre, l’horaire du colloque étant bien rempli. En soirée, j’étais brûlée. Mais même si j’avais eu du temps, je serais restée terrée dans la chambre.

Parc du centenaireLe lundi, à la clôture du colloque, épuisée d’être concentrée et à l’intérieur, je vais marcher au Parc du cinquantenaire. Il n’y a presque personne. Le soleil se couche, quelques gouttes de bruine, le vent est léger. Je respire tranquillement, reprenant mes esprits. Si quelques uns sont fous, la majorité est calme, il ne faut pas l’oublier. Je retourne en marchant jusqu’à l’hôtel, apaisée.

Je n’aurai pas mangé d’autres Merveilleux de Fred. J’ai échangé le goût du sucré vendredi soir pour celui, salé, de la tristesse. En terminant mon intervention sur la liberté à la française à Radio-Canada, mercredi matin, j’en avais encore des traces dans la voix et les yeux.

Certains disent que le vendredi 13 porte malheur. C’est faux, tout était choisi dans les gestes posés ce vendredi-là, même la date. C’est la haine qui porte malheur.

4 commentaires:

Unknown a dit...
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Unknown a dit...

Wow, Valérie. Quel hasard bizarre. Quel coup du destin que tu sois allée en Europe, en Belgique! Juste pendant ces attentats, et les quelques jours qui suivirent.
Mon histoire est tellemen plus simple, presque stupide, par rapport à la tienne. J'étais dans un bar de Calgary (lunch time-midi!) quand je commençais à regarder le match France-Allemagne, ce même vendredi 13.
Et une heure ou deux avant, j'annonçais à mon patron que j'allais voyager à Rimouski, début décembre... à l'intérieur de mon email, juste pour être drôle, j'ai appeĺé ma ville natale "Rimouski-Ville-Lumière"...
Quelques fois, le destin et l'ironie se confondent en une paire assez bizarre.
Bonne continuation ma chère.
De "Calgary-la-Lointaine"

Venise a dit...

Ah, le "timing" de la vie. Pendant que nous, nous étions dans la Ville Lumière le 11 septembre 2011, toi tu étais à Bruxelles en ce 13 novembre 2015. Nous avons été chanceux et tu l'as été. Tu y as trempé les ailes juste le temps qu'il faut, sans trop d'inquiétude j'espère. Tu n'es peut-être pas retourné manger du chocolat mais tu t'es permis de te promener dans les rues, en ayant confiance en ta bonne étoile. Tu as bien fait. La vie est précieuse, ta vie est précieuse.

Bravo pour t'être retournée sur un 10¢ pour ta chronique. On l'improvise notre vie.

Nomadesse a dit...

@Claude: Eh bien, ça me rappelle que lorsqu'un tel événement arrive dans notre entourage (car Paris est tout proche du coeur de bien des Québécois), on se souvient longtemps d'où l'on était à ce moment-là. Comme pour le 11 septembre, je me souviens encore de cette journée et de ce que j'y faisais. Salutations de Lévis! :)

@Venise: Une semaine plus tard à Bruxelles et l'expérience aurait été pas mal moins le fun... Merci pour ton commentaire!